Tribune Vin & USA

L’Amérique, « des opportunités à saisir » – « go big or stay home » et impliquez-vous, cherchez à comprendre, passez du temps…

1ère économie mondiale avec toujours un PIB 1.5 fois supérieur à celui de la Chine, les Etats-Unis sont un marché à la fois incontournable et tellement complexe que s’y développer peut s’avérer aussi difficile que d’y être totalement absent.

Le premier point dont il faut prendre conscience c’est que les vins français ne sont pas, aux États-Unis, comme ailleurs, les leaders mondiaux qu’ils croient souvent être. Pour rappel, sur les 40 à 45 millions d’hectolitres produits annuellement en France selon la générosité de Mère Nature, si on enlève les vins qui deviennent du champagne et ceux destinés au cognac, il ne reste qu’environ 35 Mhl pour le marché français et l’export. C’est insuffisant pour le marché intérieur, d’où les importations de vins espagnols ou sud-africains en vrac et c’est également bien peu pour une grande conquête « populaire » des marchés mondiaux. Du fait de cette faible capacité d’expansion, la France reste à l’international leader dans son segment premium et super premium ce qui est probablement une des causes de l’érosion de ses parts de marché en volume dans la plupart des pays.
Aux Etats-Unis, 4ième producteur mondial de vins avec plus de 23 millions d’hectolitres, on boit d’abord du vin américain ou, au moins, des marques américaines quitte à ce que le contenu provienne d’ailleurs en vrac, en premier lieu du Chili. Néanmoins, la consommation est à ce jour de 10 millions d’hectolitres supérieure à la production. Une opportunité de marché dont profite depuis toujours les vins italiens, l’Australie… La France n’y est que le 4e exportateur en volume, au coude à coude avec l’Argentine, pour des volumes de l’ordre de 1,5 millions d’hectolitres soit moins de 5% de la consommation américaine. Notre position de leader en valeur ne saurait occulter que derrière les très grands vins et le champagne, notre visibilité décroit chaque année, en dehors des rosés de Provence, pour cause d’inadaptation au marché.
Or, il y a la place « marketing » pour une approche stratégique bien construite et bien ciblée tant en volume qu’en valeur, ceci à condition de décoder et de maîtriser la complexité de ce marché.

Une distribution extrêmement complexe
Si au niveau fédéral, il y a une approche uniforme sur la définition de l’alcool avec deux agences se répartissant les rôles : au-delà de 7° d’alcool, vous avez affaire au TTB (Alcohol & Tobacco Trade Bureau) et en deçà au FDA (Food & Drug Association), des passages obligés pour valider les produits, les étiquetages, etc. Par contre, au niveau des 50 États, chacun règlemente la consommation, la vente et la distribution d’alcool au niveau de son territoire avec un dogme issu de la prohibition (1933), la séparation des métiers entre la production (l’importation dans le cas de vins étrangers), la distribution en gros (wholesaler) et la revente au détail, ce que l’on appelle communément le 3-tiers system. Comble du « libéralisme », dans plusieurs États la distribution dépend de monopoles d’États identiques à ceux en vigueur au Canada ou en Scandinavie. Exporter aux Etats-Unis consiste donc à s’adapter à un puzzle géant de 50 États aux législations différentes mais aussi aux cultures et à l’approche du vin différentes. Même une approche plus restrictive géographiquement, par exemple, la BOSWASH (Boston, New York, Philadelphie, Washington DC), plus grande « méga région » du monde avec 60 M d’habitants et cœur de cible des importations de vins français, se doit d’être protéiforme car la BOSWASH comprend aussi bien la Pennsylvanie, État à monopole, que New-York, État où il n’est pas possible pour un individu (personne physique ou morale) de détenir plusieurs « liquor stores » donc où aucune chaîne ne peut se développer, mais où il est possible de cumuler les métiers d’importateurs et de grossistes. Depuis plus de 80 ans, chaque État gère à sa manière les flux d’alcool, maintient un combat « culturel » contre la fraude et surtout collecte les revenus de la taxation. Ce passif a largement formaté la distribution et la chaîne logistique qui elle-même a largement influencé la consommation, les structures de prix… en clair, une grande partie de la chaîne de la valeur.
La complexité de la chaîne de distribution et la forte concurrence ont engendré depuis quelques années une concentration de la distribution et sa spécialisation via la construction et le renforcement de modèles forts de distribution tournée sur les marques, les produits à marge, le niveau de service (livraison, promotion, formation, etc…), la qualité des produits. Il est flagrant que les importateurs/distributeurs américains cherchent des marques, de l’animation, des budgets et ceci donne le ton pour préparer une offre… Pas simple d’imaginer une transposition de notre modèle viti-vinicole, des vignerons et de nos entreprises de commerce de vin dans cet environnement. Les 10 premiers distributeurs aux USA dépassent 1 milliard de $ d’activités chacun (le plus gros : SGW > 17 milliards et ne couvre pas tous les États !).

Le marketing et l’environnement concurrentiel
La géographie est un paramètre « naturel » aux États-Unis. De New York à San Francisco, de Houston à Boston, ou de Miami à Chicago, la consommation diffère… le Chardonnay n’a pas le même « goût » et les attentes « boisées » varient parfois d’un État à un autre. Ce qui n’empêche pas, dans chaque État, les vins américains, les vins importés, la bière, les spiritueux craft, les cocktails et dorénavant la marijuana dans certains États de se disputer férocement les faveurs des consommateurs et souvent en générant de meilleurs marges qu’une bouteille de vin français proposée à 20 ou 30 $ en liquor stores.
Les consommateurs de vins se concentrent actuellement sur la côte Est dans le « corridor » BOSWASH, dans la région des grands lacs autour de Chicago, en Floride, au Texas et, même si la part des vins européens dans la consommation de vin y est faible, sur la côte Ouest. Si la consommation de vin est attendue en croissance, la production américaine suffira encore moins à subvenir à cette demande grandissante pour diverses raisons dont, en ce qui concerne la Californie, premier état producteur, la rareté de la ressource en eau, les coûts du foncier; les incendies en série dans les vignobles et l’intensité de la concurrence entre productions agricoles (amande vs vignes vs fruits vs autres productions…). Il y a là une opportunité de construire des réponses « France » et d’autres origines comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, l’Espagne… adaptées sous forme d’investissements, partenariats, bâtir des modèles co-construits avec des producteurs et négociant américains, voire écrire des histoires de « craft wine ». La France y aurait une place très légitime vu notre « ADN culturel vin ».
Une chose est certaine, sur la côte Est particulièrement entre New York et Boston et sur la côte Ouest entre Los Angeles, San Francisco, Portland et Seattle, il y a une émergence forte du « consom’acteur » qui donne du sens à ses achats, qui veut savoir ce qu’il consomme et d’où ça vient, qui privilégie le farm to consumer (direct producteur) et l’organic (bio). Comme dans beaucoup de pays! Ce consommateur regarde beaucoup moins la TV mais désormais des programmes à la carte en streaming sur son portable, achète en ligne, se renseigne et s’informe aussi en ligne et via les réseaux sociaux. Son téléphone portable est sa « troisième main » ou sa « deuxième tête ». Cette génération ne consommera plus comme avant et le vin a une place à prendre par ses histoires, sa capacité à générer des émotions et des instants d’authentiques plaisirs et de convivialité autour d’un barbecue mais aussi et parfois des moments festifs ou bien encore « philosophiques » avec des discussions à bâtons rompus au pays de l’oncle Sam. L’infographie sociologique de ces consommateurs est précise et connue et Facebook pourrait vous en dire plus avec une grande acuité : certaines parties de l’agglomération de New York (Brooklyn, Queens north shore, Harlem Sud…), certaines villes, certains États… La précision chirurgicale des actions commerciales et marketing doit tenir compte de cette géographie tout comme des évolutions constantes des tendances véhiculées par les réseaux sociaux. Aussi, faut-il être sur place, avec une équipe en propre et/ou un partenariat solide pour comprendre, s’adapter et saisir les opportunités.

Des opportunités, il y en a !
Il est possible de nommer plus de 100 chaînes plutôt généralistes de revendeurs de V&S aux Etats-Unis (mais par nécessairement dans tous les États!). A titre d’exemple, voici un échantillon des plus connues pour le vin : Total Wine (uniquement des V&S), Trader Joe, Young’s market, ABC, Costco, Publix, Food Lion, Harveys, Target, Wallmart, Wholefood, Albertson’s, Shop’n save, Food Market, A&P, Bottom Dollars, Market basket, Fresh Direct, Spec’s, Wegman’s, etc. Idem chez les grandes chaînes de restaurations, les chaînes « ethniques » (latino, asiatique, casher…), les coopératives, les spécialistes du « naturel », le « duty free », les compagnies de bateaux qui desservent les Caraïbes notamment, les compagnies aériennes, etc. Qui plus est, pour qui sait changer son regard, le three tiers system présente aussi des qualités. Déjà, il permet de clairement définir, État par État, des « routesto-markets ». Une stratégie est ici plus encore qu’ailleurs un impératif car envoyer quelques palettes ou quelques containers de vin à un importateur qui se débrouille ensuite de la vente et du marketing ne suffira plus ou plutôt ce modèle ne peut fonctionner que si le souhait est de se positionner dans un réseau limité. Idem pour les grands vins car les spécialistes ont déjà un portefeuille de vins bien garni.
Construire une présence pérenne et durable, rentable nécessite d’écrire un business plan clair moyen/long terme, chiffré, mesuré et réaliste qui correspond à son modèle d’entreprise et ses capacités et/ou alors adapter et investir en conséquence pour aller construire de la valeur sur ce marché. Il y a sans doute de la place pour tout le monde, vigneron, groupe de vignerons, domaine connu, un wine maker reconnu, négoce installé ou maison de vin en mode « StartUp », grand négoce, coopérative, géant de l’embouteillage, vraqueur professionnels, etc mais à condition que le projet États-Unis soit une entreprise en elle-même et pas juste une aventure, une douce chimère qui consiste à rêver de manière éveillée que l’on va y arriver rapidement.

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