‘Bio’ : est-ce durable ?
Prenons l’exemple du vin. En l’état actuel, la réponse est plutôt « non ». Bien qu’au cœur du développement durable, la viticulture bio est fragile. Pourquoi ?
Pour être durable il faut durer ! Pour durer, il faut au moins construire solidement les 3 piliers que sont l’économie, l’environnement et le social tout en s’inscrivant dans la poursuite permanente des objectifs du développement durable et intégrer concrètement ces objectifs dans les activités et toute la chaîne de valeur.
L’économie : année après année, les résultats doivent être solides. Or, faire face à un accident de temps en temps reste jouable mais pas tous les 2 ou 3 ans dans un contexte propice à des aléas répétées et réguliers et notamment accélérés par le dérèglement climatique, la fluctuation du pouvoir d’achat du consommateur, la géopolitique. De plus, la compétitivité reste essentielle pour rester dans la course durablement comme dans tous les secteurs.
L’environnement : la conduite culturale et les bonnes pratiques tout au long de la chaîne de valeur (du cep de vigne aux consommateurs) doivent s’assurer de leur capacité à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Ceci n’est pas garanti et difficile à réaliser complètement au-delà de la vigne et notamment du chai de vinification, conditionnement, logistique, distribution et jusqu’au consommateur.
Socialement : sur le plan des souhaits et attentes des consommateurs, évolution des goûts et des tendances, des prix, il est clair que l’adaptation est sans cesse nécessaire surtout avec des regains d’inflation et l’émergence de nouvelles tendances de consommation.
Le vin Bio peut-il répondre à ces challenges ?
Parmi les autres objectifs à intégrer, on peut lister la décarbonation du modèle économique et prendre des mesures contre le changement climatique notamment sur le plan énergétique, travailler l’éco-conception des produits, leur distribution, la bonne gestion de l’eau, promouvoir une économie soutenue, inclusive et durable, des emplois pérennes, un travail décent.
Bien que la viticulture biologique, ou la pratique de la culture de raisins destinés à la production de vin selon des méthodes biologiques, ait gagné en popularité ces dernières années en raison de la demande croissante des consommateurs pour des produits biologiques et sains, nous devons constater que le bio ne peut pas durer s’il n’est pas vraiment « durable ».
Il a de beaux jours devant lui sans être vraiment durable. Un comble !
C’est une contradiction surprenante alors que la viticulture biologique apporte une contribution majeure à la biodiversité, la préservation des sols, leur fertilité. En effet, nombreux sont ceux qui pensent (ou pensaient) que la viticulture biologique est (était) l’avenir de l’industrie viticole, car elle est plus respectueuse de l’environnement et permet de produire des vins de bonne qualité et, on peut constater que sur ce point, le vin bio est devenu « bon ». Il est clair que les bienfaits pour la nature sont majeurs tout comme pour le consommateur.
À l’évidence, la viticulture biologique implique l’utilisation de méthodes naturelles pour lutter contre les parasites, les maladies et les « mauvaises » herbes, plutôt que de recourir à des produits chimiques de synthèse. Elle exige également que les vignobles soient gérés de manière à favoriser la santé des sols et la biodiversité. Les vignes et les raisins sont ainsi plus sains, ce qui doit permettre d’obtenir des vins probablement plus savoureux.
Il convient aussi d’ajouter que la viticulture biologique est plus exigeante en termes de main d’œuvre et que sa gestion peut nécessiter plus de temps et de ressources tout en créant des emplois, mais le challenge de la compétitivité et l’élasticité des prix restent des enjeux majeurs pour exister dans le temps dans un contexte d’échange mondialisé avec des concurrents sérieux même au-delà du secteur viticole que sont les bières, des produits sans alcool, des boissons diverses, des cocktails ou ‘mocktails’, qui répondent à des consommateurs qui ne consomment plus comme nos arrières grands-parents, ni grands-parents, ni parents.
Les enfants de nos enfants ne boiront pas les mêmes breuvages non plus. Pour des raisons de ressources, de contraintes, éventuelles restrictions, de santé, de rareté, d’évolution des goûts, des besoins. La question de savoir ce qui sera superflu ou pas dans l’avenir reste une grande question, bien que ceci reste un risque peu discuté dans le secteur du vin et plus généralement dans bon nombre de secteurs allant de la cosmétique, au luxe, aux loisirs, à l’hôtellerie et bien d’autres encore.
Le superflu restera-t-il un des éléments du génie de l’homme qui est le seul animal sur terre à inventer et transformer les choses en art, artisanat, savoir-faire, terroir, lieu, ‘climat’ (dans le sens Bourguignon du terme), beauté, émotion, relation, imaginaire, art-de-vivre, culture, différences, technologies, inventions, intelligence artificielle jusqu’à la blockchain et le métavers ?
Le monde va subir tant de changements de paradigmes et doit relever tant de challenges étant donné qu’il sera plus peuplé et plus contraint sous pression du changement climatique, technologique et ‘génomique’ et leur avancée fulgurante, géopolitique, des pénuries d’énergie fossiles et la transition vers des énergies durables, des recroquevillements nationalistes pour défendre des nations et systèmes politiques plus ou moins démocratiques, rigides, dictatoriaux, royaux etc… Et tout a été inventé par l’Homme.
La réponse à cette question du superflu est ancrée dans mon esprit et mon cœur qui regorgent toujours et résolument de l’espoir de voir Molière et son oxymore d’avoir éternellement raison : « le superflu, choses si nécessaires ! » bien que le monde d’aujourd’hui soit en train de passer d’une « douce violence » depuis la fin de la seconde guerre mondiale au « silence éloquent » d’un monde en guerre (à l’est, vu de France) et économique, sanitaire et sociale plus globalement, les dirigeants donnent l’impression d’agir mais ne décident pas vraiment et laissent faire la dégradation de la vie humaine entre les guerres, la non prise de conscience et surtout non action pour lutter contre le dérèglement climatique et des différences sociales devenues abyssales et exponentielles. Les marchés restent des jungles explorées mais pas si connues et maîtrisées. Ce qui est justement si nécessaire pour les vins bio, c’est de trouver sa place dans la jungle actuelle des marchés et toutes ces pressions.
La récurrence du rendement et sa durabilité sont les sujets qui composent une équation « impossible ». Il est difficile d’obtenir des rendements réguliers et de se protéger contre les parasites et les maladies dans certaines régions. Le modèle économique reste donc fragile et complexe, donc pas si « durable ». Pour être durable, il faut vraiment être solide économiquement et ceci commence par avoir un revenu décent et régulier à la production. C’est là que le travail doit être mené. On ne peut empêcher aussi de s’interroger sur les pratiques d’utilisation du cuivre dans la viticulture bio pour traiter des maladies fongiques même si des solutions émergent et le fait que l’ensemble de la chaîne de la valeur ne reste pas nécessairement « propre » (dans le sens des émissions de gaz à effet de serre), comme pour les vins conventionnels : depuis la vendange, aux outils utilisés pour conduire la culture et les labours (tracteurs par exemple), la vinification, les chais et l’énergie consommée, le packaging des bouteilles, la vente, le commerce, la logistique traditionnelle ou pour le E-commerce, etc…beaucoup de travail reste à faire pour mener les transitions avec des solutions viables, abordables, compétitives et durables pour que les vignerons continuent à « jardiner » leurs vignes bio, protéger la nature et façonner nos paysages tout en pouvant en vivre sur un socle économique et sociale solide.
Faisons aussi face à l’évidence, le terme « biologique » n’englobe pas nécessairement tous les aspects de la durabilité alors qu’il contribue fortement à améliorer les sols et la biodiversité.
Montrer « pâte blanche » du côté du bilan carbone, des conditions de travail, de la gestion de l’eau, etc… reste les challenges à embrasser pour trouver des solutions.
En effet, comment peut-on sérieusement développer du Bio durablement et notamment à l’international sans raisonner en tenant compte d’un vrai effort durable qui comprend les émissions de gaz à effet de serre (scope 1, 2 et 3) sur l’ensemble de la chaîne de la valeur du cep de vigne aux consommateurs ? Le bio ne peut pas être garant d’une durabilité totale et c’est bien là l’erreur stratégique et marketing de fond, d’autant plus que le consommateur (mais aussi les distributeurs et les acheteurs de vin) attend plus que la valeur intrinsèque du bio car il veut aussi, et de plus en plus, de la transparence sur l’origine, les émissions de gaz à effet de serre, le producteur, les engagements variés, la logistique, une mesure des résultats, la liste des ingrédients qui devient obligatoire (comme les autres vins), du sens, des « visages et lieu-dit ». Pourtant dans les rayons aujourd’hui, on trouve des vins bio (assez agréables à boire) qui ressemblent bien, au regard de l’étiquette, à un bon vin élaboré dans la belle France alors que le vin est parfois espagnol, a été transporté en vrac en camion-citerne propulsé par un gros moteur diesel pendant des centaines de kilomètres entre la Mancha (sud-est de Madrid) et les grandes « usines de conditionnement » réparties partout en France, puis conditionné, envoyé sur une plateforme dans la banlieue parisienne pour finir sur un rayon de supermarché bien « bobo » (Bourgeois-Bohème) ou dans un magasin de vins à New York après fait une étape au port du Havre ou de Rotterdam. C’est du « greenwashing » où le mot Bio ou ‘Organic’ est là pour prendre, bien à son « insu », le costume du ‘greenwasher’. Cette manipulation marketing est monnaie courante dans tous les produits. Les acteurs ne prennent pas la mesure du changement à mener.
Le bio a le grand mérite d’être devenu en 2 décades une opportunité de convertir le vignoble dans l’espoir sincère d’entretenir les sols, ne pas utiliser des pesticides, donner du sens, et ceci est remarquable et particulièrement bon pour la nature et la planète mais ça ne sera pas suffisant pour contribuer significativement à pérenniser le secteur viticole en France. En effet, on a oublié le reste de l’histoire. Comme souvent quand la vision est peu claire et que le diagnostic n’est pas précis, documenté et scénarisé, les acteurs et décideurs restent plus opportunistes que stratèges dans la construction de fond sur le long terme et ferment les yeux sur ce qui n’arrange pas les agendas à court terme et les positions acquises.
Le reste de cette histoire des vin Bio (tout comme Vegan, naturel, « biodynamique », etc…) doit commencer à s’écrire sérieusement et consiste à mener une analyse complète afin de parvenir à une vision où le vin bio (et tous les dérivés du raisin) peut être une des solutions sérieuses pour continuer sur le chemin vraiment durable. Beaucoup de voies sont à explorer et à challenger pour démontrer, organiser et structurer la capacité du vin bio à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Le vin doit passer de « bio » à totalement « durable » (donc Bio-Durable) sinon le secteur ne pourra pas assurer seul les besoins futurs pour les raisons évoquées plus haut et particulièrement la non-récurrence et régularité des cultures et rendements, les aléas, la faiblesse économique, adaptation aux attentes des consommateurs en couvrant donc tous les aspects environnementaux, économiques et sociaux alignés et vraiment en action vers un futur pérenne. Le modèle économique et sociale doit être aligné. Il y a déjà de belles réussites dans ce sens, avec des doses fortes d’économie circulaire, mais elles restent assez marginales et ne peuvent être l’unique solution aux challenges, notamment à l’échelle d’un pays et à l’international, et, de plus, elles nécessitent une maîtrise précise de l’intégralité de la chaîne de la valeur. Du raisin à la consommation. Tant que le sujet de la viticulture (bio et conventionnelle) ne sera pas observé, analysé et repensé sous cet angle de la chaîne de la valeur complète et de la compétitivité, sa pertinence, et de manière collective et transparente alors il n’y aura aucune stratégie durable ni plan à moyen et long terme et donc aucune décision pour assurer une réponse pertinente aux enjeux de la filière du raisin au verre qui rencontre avec émotion et plaisir ses
consommateurs. Pendant ce temps-là, il y a fort à parier que les subventions, les perfusions économiques (cousine « du quoi qu’il en coûte ») pleurées et éventuellement obtenues en tapant dans les impôts prélevés auprès des citoyens et auprès de Bruxelles ou de France Agrimer paieront les choix individuels des acteurs de la filière et en particulier des producteurs et des coopératives de production. Quand ça marche, le revenu est correct et quand ça ne marche plus, l’habitude « syndicale » est d’aller chercher la « trousse de soin » (ou carrément et très bientôt l’ambulance équipée d’un défibrillateur) auprès des instances publiques en vociférant avec les arguments habituels : la faute aux négoces, à Trump ou aux Chinois ou encore aux ‘English’, à la distribution, aux concurrents déloyaux, aux gouvernement successifs et aux consommateurs sachant que ces derniers et notamment les générations X, Y, Z boivent moins de vin, bio ou pas, et notamment rouge. Les producteurs, sont-ils responsables et coupables de tout ceci ? Je ne crois pas…
J’ai longtemps cherché l’erreur dans cette équation impossible pendant des années. J’ai fini par élaborer un début de réponse. La médiocrité et pauvreté du savoir associée à des comportements fourbes et individualistes, une non-transparence, un jeu politique et d’égo en permanence menés et encouragé par bon nombre d’élus et leaders (pas toujours frappés d’érudition) dans les instances interprofessionnelles, coopératives, certaines entreprises et des chambres d’agricultures les plus représentatives de la filière, sont souvent coupables ou victimes d’incompétence fragrante. Sans compter le détournement de l’intérêt collectif sans vergogne ni réserve complété par peu de vision à long terme ni leadership alors que c’est pourtant les égo respectifs de ces mêmes acteurs dirigeants de ces instances qui disent la messe sous forme de conseil ‘intelligent’ et murmurent les psaumes syndicaux, des « à peu près », des « boniments » à la base viticole et incantent simultanément des discours de peur et menace aux oreilles des ministres, préfets, directeurs de cabinet, instances de l’état et experts qui se suivent pour leur tirer de l’argent et des aides. Le pire arrive parfois, ils désinforment les vignerons et beaucoup de producteurs et entreprises, et, le pire du pire, sans nécessairement le faire toujours exprès car justement les sujets sont très complexes et les réponses plurielles et « ténues ». Comme une « atmosphère ténue » au-dessus de nos têtes et dont la définition de « ténue », comme par hasard, s’applique à notre « atmosphère qui contient les gaz à effet de serre, sans lesquels la température moyenne de la surface de la Terre serait de -13°C au lieu des 14,7°C que nous connaissons actuellement ». Quand on voit cette fine ligne, on se rend compte de la fragilité de la vie sur Terre.
À l’heure actuelle, nous sommes dans l’excès opposé : trop de gaz à effet de serre d’où le réchauffement climatique. D’une manière ou d’une autre tout reste si fragile. Vivement une prise de conscience effective car tout le monde sait. On ne peut plus croire en la citation attribuée à Mark Twain : « tout le monde savait que c’était impossible alors il l’ont fait ». Donc comment faire ? Peut-être s’en remettre à la phrase originale de Pagnol : « Il est venu un imbécile qui ne le savait pas et qui l’a fait ».
En attendant la relève et de nouveaux imbéciles, réunissons ceux en place autour d’une table, avec bon sens, humilité, la mise en place de gouvernance simple, raisonnable et transparente pour parvenir à l’émergence de vraie vision stratégique à long terme, des experts et visionnaires (aussi des imbéciles s’il le faut !) avec toutes les compétences et l’esprit d’équipe et collectif qui doivent, tout comme l’éthique, animer toutes les discussions et servir de balise aux comportements, aux solutions en associant tout le monde au service de tous les autres avec une conscience aiguë des vrais enjeux et de tous les éléments du puzzle durable.